Publié le 17 mars 2014
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Comment lui dire adieu ?

La Secrétaire Générale de la Ville, Véronique Bédague-Hamilius, a annoncé officiellement qu'elle quittait la Mairie de Paris par un mail du 12 mars envoyé en fin d'après-midi et intitulé “ Merci pour le chemin parcouru ensemble ”. Le ton – convenu – est celui que M. ou Mme Tout-le-Monde adopte depuis des décennies à l'occasion d'un traditionnel pot de départ. Mais, au-delà des incontournables remerciements aux chers collaborateurs et de l'autosatisfaction habituelle, le courriel de la SG contient des passages révélateurs et quelques perles amusantes.

Commençons par l'une d'entre elles. Déclarant avoir eu « l'honneur, la fierté et la joie » d'occuper son poste depuis six ans (à la manière des acteurs de théâtre des années 1950 saluant le public après avoir eu « l'honneur, la fierté et la joie » d'interpréter une pièce de Noël Coward ou d'Édouard Bourdet), la Secrétaire Générale  affirme  qu'au bout du « chemin parcouru ensemble » l'administration parisienne est désormais « plus ancrée dans le territoire parisien ». Ladite administration a donc parfaitement œuvré (si l'on comprend bien)  pour rester  fermement plantée sur le sol de la Capitale, ce qui fait que le chemin parcouru ensemble ressemble fort à du surplace. Il est vrai que, si l'administration parisienne gérait à présent la région PACA, la route effectuée serait sans doute plus étonnante mais plus lisible. De même, le fait que l'administration ait livré « dans les temps et le budget impartis » le programme (forcément « ambitieux ») de la mandature, ce qui est peut-être la moindre des choses, est présenté comme le résultat incroyable et merveilleux, digne des travaux d'Hercule, de tous les fonctionnaires chargés des services publics à Paris.

Il est vrai qu'il a fallu de la part de tous les agents, quels que soient leur grade et leur fonction,  « un engagement sans faille, beaucoup d'intelligence et de créativité » pour remplir leurs missions malgré les méthodes de travail de Mme Bédague-Hamilius. Car, au-delà du ton convivial et tonique qu'elle adopte dans son message de départ, la Secrétaire Générale sortante peut se voir adresser de nombreux reproches. Il est possible de regrouper ceux-ci autour de trois thèmes : une vision technocratique du monde, le jeunisme, une conception féodale du pouvoir.

> Une vision technocratique du monde La SG de la Mairie de Paris est renommée pour avoir introduit dans l'ensemble de l'administration parisienne les indicateurs, tableaux de bord et autres mesures de reporting à haute dose. La tendance à utiliser à tout bout de champ ces outils de gestion est – il faut le reconnaître – générale aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Mais Mme Bédague-Hamilius a souvent oublié que ces instruments à la mode n'ont d'intérêt que s'ils recouvrent l'ensemble des réalités matérielles et qu'ils se transforment rapidement en techniques de propagande lorsqu'ils se réduisent à quelques indicateurs uniquement conçus pour publier régulièrement des bulletins de victoire fictifs. Les personnels de la Mairie ont ainsi été obligés de vivre dans un monde et de penser dans un autre  (pour reprendre la formule célèbre d'un certain Karl Marx). La « grande importance » accordée à la communication interne n'a fait qu'ajouter à ce phénomène, les personnels trouvant au final « toute l'information dont [ ils avaient ] besoin pour remplir [ leurs ] missions » dans les publications syndicales et non dans les bulletins rutilants publiés par la Mairie, déconnectés de leurs préoccupations quotidiennes.

> Le jeunisme « La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer ». Véronique Bédague-Hamilius ne partageait apparemment pas cette opinion de Jean-Jacques Rousseau et avait la réputation de considérer que toute personne née avant 1964 n'était plus bonne à grand-chose au niveau des postes de responsabilités. Dommage collatéral : les demandes de prolongation d'activité après l'âge légal de départ à la retraite (65 ans) ont été refusées de plus en plus fréquemment.

> Une conception féodale du pouvoir La Secrétaire Générale sortante s'est toujours entourée de personnes avec qui elle avait des rapports d'amitié ou pour lesquelles elle ressentait des atomes crochus. Cette conception du pouvoir basée sur des liens affectifs (pratiquée en France pendant la période de la Féodalité, c'est-à-dire jusqu'au XVIe siècle) présente un double inconvénient : rejeter un certain nombre de collaborateurs et collaboratrices qui pourraient être utilement retenus d'un strict point de vue de la compétence ; constituer une garde rapprochée qui se transforme rapidement en un cercle de courtisans. À cette vision des choses assimilable à une forme de monarchie absolue (« On ne dit pas “Non” à la Secrétaire Générale ! » s'est vu encore dernièrement répondre un collègue attaché) s'est ajoutée une brutalité affirmée dans la façon de traiter un certain nombre de Directeurs et Directrices de la Ville. Le « chemin parcouru ensemble » depuis 2008 fait ainsi ressortir une fonctionnaire de haut niveau qui a permis à un grand nombre d'agents municipaux de pratiquer l'une des valeurs ancestrales de la Ville : flotter mais ne pas couler. Il fait surtout apparaître une forte personnalité ne faisant guère confiance à celles et ceux qui ont pour mission de diriger l'administration parisienne et qui, au-delà de ses discours prônant la convivialité et l'esprit d'équipe, voulait toujours tout contrôler.

Le phénomène n'est pas nouveau et on le rencontre aussi bien dans les diverses administrations que dans les grands groupes privés. Une importante collectivité locale comme Paris pourrait cependant prôner – à l'occasion, par exemple, de la nouvelle mandature qui va débuter prochainement – un autre mode de gestion, fondé sur la responsabilité de chacune et de chacun et non sur une kyrielle d'indicateurs et de tableaux de bord qui aboutissent le plus souvent à une démotivation générale.

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