Publié le 25 juin 2019
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Projets innovants : un urbanisme à la dérive

Longtemps la France fut réputé pour son encadrement du secteur de la construction et de l’aménagement, résultat du fort engagement de l’Etat et des collectivités locales à la fois régulateurs, bâtisseurs, financeurs, gestionnaires…

Malheureusement, depuis quelques années, ce système est discrètement mis à mal par divers dispositifs qui, souvent expérimentés sous prétexte de circonstances exceptionnelles, se sont peu à peu banalisés, donnant toujours plus de pouvoir aux acteurs privés.

Petit inventaire non exhaustif :

- la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Inexistante, puis marginale dans le secteur du logement social, celle-ci, couramment appelée « vente sur plan », s’y installe dans le sillage de la crise de 2008. Dix ans plus tard, ce dispositif clés en main est devenu monnaie courante dans le milieu de l’habitation à loyer modéré (HLM), jusqu’à représenter chaque année plus de la moitié des logements sociaux produits en Île-de-France. Avec ce système,  les bailleurs sont dessaisis par le privé d’une partie de leur rôle de maître d’ouvrage. En outre, celui-ci repose sur une contradiction fondamentale Tandis que les bailleurs doivent entretenir leurs bâtiments, et sont donc fortement intéressés par la qualité et la robustesse des matériaux utilisés, les promoteurs construisent et vendent des logements dont ils n’auront pas la responsabilité. Les gains immédiats, en temps et en argent, pourraient se transformer en coûts différés.

- le macro-lot. Apparu au début des années 2000 à Boulogne Billancourt lors de la destruction des usines Renault et de la vente des terrains à des investisseurs et des promoteurs privés le macro lot a séduit bon nombre de métropole (Quartier du Tripode à Nantes, Lyon Confluence, Clichy Batignolles à Paris, la Mantilla à Montpellier…). Sans maîtrise sur le foncier la collectivité locale souhaite néanmoins encadrer l’aménagement. Pour y parvenir elle divise la surface en îlots pour lesquels elle impose des concours d’architecte privés avec des cahiers de charges précis. Pour aller vite et produire des programmes variés le milieu de la construction invente donc le macro-lot, une mégastructure dans laquelle tout est imbriqué (parkings, espaces libres, commerces, bureaux, équipements publics, logements privés et sociaux…). Dans le temps la rénovation de ces mégastructures posera problème car la mégastructure élimine la parcelle sur laquelle un bâtiment peut être rénové, démoli, reconstruit, remplacé.

- les partenariats publics privés (PPP). Apparus au Royaume Unis dans les années 1990 ils sont importés en France par une ordonnance du 17 juin 2004. Le principe est simple, faute de moyens, les autorités font appel à des prestataires privés pour financer des équipements collectifs assurant un service public ou y participant (hôpitaux, stades maisons d’arrêt…) en échange d’un loyer ou d’une redevance. A l’origine, ce mode de financement devait être réservé à des situations exceptionnelles, selon des critères précis comme l’urgence et la complexité du projet. Avec la crise de 2008 son utilisation s’est répandue. Ils sont devenus un moyen de compenser le désinvestissement public. Plus de conditions contraignantes, le recours aux PPP peut être justifié par de purs  critères économiques (il suffit qu’il soit plus avantageux économiquement). C’est bien sur une vision à court terme puisqu’il s’agit d’un montage financier qui engage les pouvoirs publics sur une période très longue.

Ces trois exemples mettent en avant la volonté des pouvoirs publics de se dessaisir de leurs prérogatives au profit du secteur public qui devient l’acteur dominant de la production urbaine.

En 2014 la Ville de Paris innove. Désireuse de vendre quelques terrains, elle lance le concours «Réinventer Paris» (puis «Réinventer Paris2») qui se situe au croisement de la cession d’actifs et de la commande publique. Elle propose vingt-deux sites à des acheteurs potentiels, aussi appelés candidats, en leur demandant de soumettre des projets innovants. Les heureux élus seront financés par et exécutés par des promoteurs ou de grands groupes du bâtiment et des travaux publics.

La presse avait été élogieuse au lancement de cette opération qui, rappelons-le, consistait à vendre du patrimoine immobilier en mettant des conditions à  la réalisation future, pour une ville plus verte, plus citoyenne. Mais n’est-ce pas  le court-circuit organisé de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée (MOP). Magnifique idée de proposer une cession d’actifs à ceux qui ont des idées mais encore faut-il qu’ils aient de l’argent, car le travail de conception du projet n’était pas rémunéré. Soit les architectes ont travaillé gratuitement jusqu’à une étape d’avant-projet sommaire soit ils agissaient pour le compte d’un acteur économique solide. La loi MOP, c’est aussi un règlement de consultation, un jury, des notations, des notifications aux candidats, bref, tout un système procédural que d’aucuns trouvent lourd mais qui garantit la transparence et l’égalité entre les candidats.

Pour nous, fonctionnaires de la Ville, cette « réinvention » de notre cadre juridique pose problème. Pouvons-nous être entendus si nous en faisons l’objection ? Quel peut-être notre degré d’engagement dans des actions fragiles juridiquement ?

La question se pose désormais au quotidien tant l’appel à projets tend à remplacer l’appel d’offres, et le coworking la commission d’appel d’offre. Un exemple parmi d’autres : « Embellir Paris ». La Ville commande sans les commander des œuvres sur son propre espace, laisse la propriété et l’entretien de l’œuvre à son auteur, et verse une subvention à condition de ne contribuer à plus de 50 % à la réalisation, mais le candidat a la faculté de valoriser son apport en industrie à hauteur de la subvention municipale.  Obscur ? Tortueux ? Non, innovant !