Publié le 11 juin 2019
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Privatisation des crématoriums : Paris enterre la SAEMPF?

Lors de la séance du Conseil Municipal qui débute aujourd’hui la Maire de Paris s’apprête à faire valider la privatisation d’une activité sensible : l’incinération des morts

La gestion du crématorium du Père-Lachaise faisait l’objet d’une délégation de service public qui arrivait à échéance en 2018.

La Ville de Paris a donc lancé un appel d’offres en mettant dans le même lot la construction d’un deuxième site porte de la Villette (19e arrondissement).

En 2014, lors de sa campagne pour la mairie de Paris, Anne Hidalgo avait promis de créer un complexe funéraire, incluant un crématorium. Avec l’essor de la crémation en France, le vieux bâtiment du Père-Lachaise, classé monument historique, n’arrive plus à répondre à la demande. Plus de 5 900 crémations y sont effectuées par an, et aucune augmentation de capacité n’est possible.

Rappelons que la décision de créer le crématorium du Père-Lachaise a été prise afin d’offrir aux Français un lieu de cérémonie laïque aussi digne que les édifices religieux dont bénéficient les croyants pour leurs obsèques. Il fut ouvert en 1889. C’est à la même époque que l’on reconstruisit l’Hôtel de Ville de Paris, comme un palais républicain pouvant rivaliser par son faste avec Versailles (c’était ce qui se disait à l’époque…).

Jean-Camille Formigé, architecte municipal fut choisi pour le construire. Il construisit également les serres d’Auteuil (malmenées par l'agrandissement de Roland Garros).

Pour trente ans, la gestion du crématorium devrait être retirée à la société anonyme d’économie mixte des pompes funèbres (SAEMPF), une entreprise contrôlée par la Ville, au profit de la Funecap, une société créée par les financiers Xavier Thoumieux et Thierry Gisserot.

Selon Pénélope Komitès, adjointe à la Maire chargée du dossier, à l’ouverture des plis: «Au regard des critères fixés, il était inconcevable d’attribuer le contrat à l’ancien prestataire.»

Sur le terrain financier, la SAEMPF prévoyait de verser à la ville une redevance limitée à 71 millions d’euros sur trente ans, soit 36 millions de moins que Funecap. En ces temps de disette ce ne serait pas le côté financier qui aurait fait la différence mais surtout l’architecture du futur crématorium...

La société d’économie mixte de la ville avait fait appel à un spécialiste de renom, Shigeru Ban, lauréat du prix Pritzker en 2014, le Nobel de l’architecture. Son dessin, avec une haute façade en brique, et une sorte de cocon protégeant les familles du bruit du périphérique, a été jugé inadapté. « L’ouvrage tournait le dos aux communes limitrophes, c’était comme un mur entre Paris et ses voisins, alors que l’on cherche à effacer cette frontière», dit-on à la mairie.

A l’inverse, Funecap a imaginé un bâtiment bas, «invisible», l’essentiel se trouvant en sous-sol, «sous une colline aménagée comme un paysage». Le groupe privé prévoit d’investir 37 millions d’euros sur les deux sites. Il a par ailleurs donné des assurances sur la qualité des futurs services et le maintien de tarifs abordables.

La décision a été vécue comme un coup violent par la société d’économie mixte, héritière du service municipal des pompes funèbres. François Michaud-Nérard, son directeur jusqu’en 2018, monte au créneau. Il dénonce une décision «incompréhensible sur le plan politique», qui risque d’affaiblir l’entreprise au point d’impliquer sa «fermeture quasi inéluctable à court terme».

C’est également l’opinion de Philippe Caillarec, patron d’une entreprise de marbrerie qui détient 7% de la SAEMPF (un peu de parti pris peut être).

En 2018, la SEM avait été la cible d’un rapport de la Cour des comptes critiquant la façon dont elle attirait les clients en affichant parfois des prix «très inférieurs à la réalité».

Dans l’immédiat, l’entreprise, largement bénéficiaire, ne paraît guère menacée. La filiale de la Ville va continuer à gérer le crématorium de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), et surtout à organiser des obsèques sous la marque Services funéraires-ville de Paris.

Dans la capitale, elle détient environ 20 % de cet autre marché. Funecap était sur les rangs pour cette activité, elle aussi remise en concurrence. Mais cette fois-ci, la société d’économie mixte l’a emporté. Une sorte de lot de consolation décisif: les enterrements représentent près de 80% du chiffre d’affaires de la SAEMPF.

Selon Marinette Bache, l’élue socialiste qui préside la société «L’enjeu est de développer cette activité, notamment par de nouveaux projets».

Les écologistes préconisent de changer le statut de la société et d’en faire une société publique locale. Ce statut éviterait toute nouvelle mise en concurrence. La société d’exploitation de la tour Eiffel a déjà bénéficié d’un changement de ce type.