Publié le 1 octobre 2019
Droit à l’oubli: en Europe mais pas dans le monde… - PDF

Droit à l’oubli: en Europe mais pas dans le monde…

Dans deux jugements la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a donné raison à Google face à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) en concluant que le droit au déréférencement, abusivement surnommé «droit à l’oubli», ne s’appliquait qu’à l’intérieur des frontières de l’Union européenne.

Ce droit au déréférencement – qui permet depuis 2014 à chaque internaute européen de faire supprimer sous conditions certains résultats le concernant des moteurs de recherche lorsqu’on y saisit ses noms et prénoms – ne peut s’appliquer à l’échelle mondiale en raison du risque de un conflit légal entre l’Union européenne et le reste du monde, notamment avec les Etats-Unis où la liberté d’expression est extrêmement protégée.

Jusqu’ici, les pages concernées par le déréférencement ne disparaissaient que lorsque l’internaute effectuait sa recherche sur les extensions de Google des pays de l’Union européenne (Google.fr, Google.de…). Il suffisait à un internaute de se rendre sur une autre extension (Google.com par exemple) pour afficher le contenu retiré. Pour éviter cette pratique la justice européenne a statué que les moteurs de recherche devaient prendre « des mesures suffisamment efficaces » pour que le déréférencement soit bien effectif dans toute l’Union européenne. La Cour leur demande ainsi d’accompagner ce retrait de mesures « empêchant ou décourageant » l’accès des internautes européens aux liens déréférencés. Avant cette décision, Google avait commencé à utiliser l’adresse IP – l’identifiant d’une connexion à Internet, qui peut révéler le pays où se trouve l’internaute – pour délimiter les frontières de ce déréférencement.

Concernant les données sensibles, une catégorie spécifique de données personnelles que le droit européen protège plus que les autres, on y trouve par exemple l’appartenance sexuelle, l’orientation politique, l’origine ethnique ou les antécédents judiciaires, la Cour a jugé que, dans la plupart des cas, le moteur de recherche devait obéir à la demande de déréférencement des pages contenant ce type de données, en raison de la menace qu’elles font peser sur la vie privée des internautes.

Pour se défendre, Google avait agité la menace des dérives autoritaires, arguant qu’une extension globale créerait un précédent dangereux pour le droit à l’information, par exemple si d’autres pays non démocratiques cherchaient à faire appliquer leur propre version du droit à l’oubli dans le monde entier. Ces avertissements avaient également repris par plusieurs associations de défense des libertés en ligne et de médias.

La CJUE donne en partie raison à l’entreprise américaine en relevant que de nombreux États tiers ne connaissent pas le droit au déréférencement ou adoptent une approche différente de ce droit. Elle précise que le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.

Enfin, la CJUE ouvre tout de même une (petite) porte en affirmant que si le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, un déréférencement sur l’ensemble des versions du moteur de recherche, il ne l’interdit pas non plus. Il est du ressort de chaque État membre, dans certains cas, d’établir l’équilibre entre le droit à la vie privée d’une personne et le droit à la liberté d’information, avant d’enjoindre un moteur de recherche à éventuellement procéder à un déréférencement sur l’ensemble de ses versions.