Publié le 27 février 2012
Vertige de la com’ - PDF

Vertige de la com’

Et de deux ! Après une note (mémorable) du 1er février sur la “démarche Valeurs”, la Secrétaire Générale de la Mairie de Paris a adressé le 14 février aux Directrices et Directeurs de la Ville une nouvelle directive visant cette fois-ci l'organisation « de la communication managériale ». En deux pages où sévit un pseudo-rationalisme aussi exacerbé qu'amusant, on apprend que certains cadres vont se voir dotés d'un code afin, entre autres, « d'apporter des éléments de doctrine » aux personnels municipaux. Après Trissotin, Le Meilleur des Mondes ?

La  dernière note de la Secrétaire Générale démarre – reconnaissons-le – pourtant bien. On peut en effet lire dans le premier paragraphe que « la diffusion d'une information actualisée, facilement intelligible et apportant une véritable plus value pour comprendre les enjeux et évolutions en cours au sein de l'administration parisienne conditionne la qualité des relations de travail au quotidien ». C'est parler d'or, et on ne peut que regretter que la SG n'ait pas appliqué auparavant ces sages préceptes à sa propre prose, ce qui nous aurait évité le galimatias de la  note du 1er février sur la “démarche Valeurs”.

Les directives exposées dans la note du 14 février évitent en effet (à peu près) l'amphigouri mais donnent carrément dans une conception pyramidale et rigide de la communication que les anciens tenants du centralisme démocratique n'auraient pas désavouée. Qu'on en juge :

- la Secrétaire Générale « diffuse une information transverse » ; - les cadres dirigeants des directions remettent « en perspective les grands projets de changement » ; ils sont chargés « d'un double travail de traduction et d'organisation de la communication managériale » (le travail de traduction concerne sans doute les écrits des cabinets d'audit) ; - les encadrants « intermédiaires et de proximité » « contribuent à la mise en œuvre du dispositif de communication managériale arrêté au niveau de leur direction ».

Cette conception des choses paraît quelque peu étonnante et archaïque à l'heure d'Internet et des réseaux sociaux, d'essence libertaire. Et l'on éprouve quelque crainte lorsqu'on apprend (page 1, 4e paragraphe) que le rôle de la SG est « d'une part de donner le sens global des transformations engagées et de les illustrer et, d'autre part, d'apporter des éléments de doctrine ». Le spectre de Big Brother gardien de la norme idéologique n'est-il pas en train de réapparaître ?

Une découverte étonnante renforce encore nos craintes lorsque l'on découvre (page 1, 6e paragraphe, 2e et 3e lignes) qu'un nouvel emploi de cadre dirigeant a été (apparemment) créé à la Mairie de Paris en plus de ceux bien connus de directeur, directeur adjoint et sous directeur : les « chefs de grands chefs services techniques » (sic). De deux choses l'une en effet : soit ces chefs de grands chefs apparus en catimini vont être chargés de doubler la hiérarchie officielle (pour « apporter les éléments de doctrine » ?), soit la Secrétaire Générale signe ses notes sans les relire (ce qui n'est pas très sérieux) et fait bien rire ses Directrices et ses Directeurs avec des textes contenant d'étonnantes coquilles.

La conception quasi-militaire que l'Éxécutif parisien a de la communication interne connaît son apothéose avec le système des codes décrits en fin de note et dans un mémo annexe. « Je vous demande maintenant – dit la SG à ses Directrices et Directeurs – de rattacher chaque encadrant de votre direction (catégorie A, B, et C) et chaque cadre A (encadrant ou non) à un “code”. 1. L'encadrement dirigeant correspond au “code 1” (la liste est déjà établie et sert à l'envoi d'Actus RH hebdo) 2. L'encadrement intermédiaire se décline en 2 “codes” 3. L'encadrement de proximité se décline en 4 “codes” 4. Les cadres A non encadrants constituent le dernier “code” possible ».

Il est vrai que, dès le début, un encadré placé en tête de la note a donné le ton : « Commande à retourner pour le 29 février : désigner un correspondant qui sera chargé de rattacher chacun des encadrants ou cadre A de votre direction à un “code” d'encadrant (voir le mémo en annexe) et qui sera chargé d'actualiser ces données en fonction des mutations. Il sera invité à la première réunion qui se tiendra le 8/03/2012 de 9h 30 à 11h (lieu à préciser) ».

Après le Trissotin de la “démarche Valeurs” voilà donc les Number One et autres correspondants codeurs de cadres de la communication managériale, personnages que n'aurait sans doute pas renié Aldous Huxley pour Le Meilleur des Mondes.

Bien évidemment, le problème essentiel qui se pose à la Mairie de Paris en matière de communication interne n'est pas abordé : pourquoi les personnels de la Ville font-ils, dans leur écrasante majorité, uniquement confiance aux syndicats pour les tenir informés sur les évolutions de leur vie professionnelle et les transformations de la Mairie et non aux médias officiels de la Municipalité * ? Mais mieux vaut, sans doute, construire un nouveau concept prétentieux dans la catégorie des usines à gaz que d'affronter les terrifiants pépins de la réalité évoqués par Jacques Prévert dans La Promenade de Picasso...

Au risque pour la Secrétaire Générale de se voir affublée d'un nouveau surnom, qui serait, après le titre de cet article en hommage à Alain Bashung, une jolie paraphrase d'un grand succès de MC Solaar : Victime de la com', tel est son nom de code.

[ *  un sondage mis en ligne sur le présent site Internet en novembre 2011 montre que 1 % des attachés d'administrations parisiennes font confiance à La Lettre des Cadres de la Secrétaire Générale et 3 % à Mission Capitale pour les informer, contre 96 % faisant confiance aux organisations syndicales - dont 63 % au Flash du Mardi publié chaque semaine par le Syndicat UNSA des attachés des administrations parisiennes ]