Publié le 25 septembre 2012
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Le pré-rapport secret de l’OCDE sur la corruption

La revue Acteurs Publics révèle dans son numéro de septembre qu'un pré-rapport strictement confidentiel de l'Organisation de coopération et de développement économique sur l'application par la France de la convention sur la lutte contre la corruption internationale a été remis à quelques hauts fonctionnaires au début de l'été. Ce document pointe les nombreuses faiblesses françaises en ce domaine. Le manque d'indépendance des procureurs, la rigidité du droit et la faible sensibilisation des fonctionnaires sont notamment mis en cause.

Acteurs Publics résume le pré-rapport autour des « sept failles » de la France en matière de lutte contre la corruption :

Des condamnations très rares

Trois condamnations seulement ont été prononcées en plus de douze ans, et aucune contre une personne morale. La France compte pourtant un grand nombre d'entreprises dans les secteurs où la corruption est la plus fréquente (défense, infrastructures, transports, télécommunications). L'industrie de l'armement, qui comprend une dizaine de grands groupes (dont Thales, EADS, MBDA, Safran, Dassault Aviation, Nexter), a ainsi représenté en 2011 un marché de 6,5 milliards d'euros au niveau des exportations.

Un droit trop restrictif

Ce faible nombre de condamnations s'explique en grande partie par la nature du droit français. La notion d'agent public étranger visée par la convention sur la lutte contre la corruption internationale y est ainsi comprise de manière très restrictive et l'intervention directe du fonctionnaire incriminé doit être prouvée (ce qui est quasiment impossible sans une coopération active du pays concerné). Le droit français impose en outre aux juges d'établir l'existence d'un pacte de corruption entre le corrompu et le corrupteur (alors que les textes internationaux ne le prévoient pas). Ainsi, les magistrats ont tendance à requalifier les actes de corruption en abus de biens sociaux plus faciles à démontrer mais moins lourdement sanctionnés.

Des peines trop légères

Les peines encourues et les sanctions prononcées sont trop faibles pour être réellement dissuasives. Ainsi, les entreprises qui seraient prises en flagrant délit de corruption d'un fonctionnaire étranger risquent au maximum une amende de 750.000 € ce qui représente une somme dérisoire au regard des bénéfices attendus (surtout pour les grosses sociétés dans les secteurs de l'aviation et de l'armement).

Des procureurs en mal d'indépendance

Après la Cour européenne des droits de l'homme, l'OCDE s'inquiète du manque d'indépendance des procureurs français vis-à-vis du ministre de la Justice et du pouvoir politique. « Le parquet dispose du pouvoir de bloquer le déclenchement des poursuites en matière de corruption d'agent public étranger » rappelle ainsi l'OCDE en notant que 38 affaires n'ont ainsi donné lieu à aucune enquête en France alors que des entreprises françaises y étaient citées.

Peu d'alertes venues des fonctionnaires

Seulement 3 affaires sur les 18 en cours sont remontées au niveau des juges grâce à un fonctionnaire, et des pans entiers du secteur public (ministère des Affaires étrangères, ministère de la Défense, Agence française du développement, Coface – agence spécialisée dans l'assurance-crédit à l'exportation) restent muets « alors même que ces administrations avaient connaissance de cas de corruption, présumés ou avérés, dans le cadre de l'exercice de leurs missions ».

La faiblesse des moyens des tribunaux

La section financière du tribunal de grande instance de Paris a vu ses effectifs diminuer d'un tiers pendant la présidence de Nicolas Sarkozy (2007 – 2012) passant de 27 magistrats (14 parquetiers et 13 juges d'instruction) à18 (8 parquetiers et 10 juges d'instruction) alors que le nombre d'assistants spécialisés pour aider les magistrats passait quant à lui de 7 en 2004 à 4. Les auteurs du pré-rapport de l'OCDE s'inquiètent d'autre part des capacités de certains parquets locaux à mener à bien des enquêtes complexes (le tribunal de Nanterre n'a jamais traité une affaire de corruption alors que le quartier d'affaires de la Défense est placé sous sa juridiction).

Des acheteurs publics trop passifs

L'OCDE s'étonne que les acheteurs publics ne soient pas plus sévères vis-à-vis des entreprises condamnées pour corruption alors que celles-ci doivent être écartées des marchés publics d'après la directive européenne du 31 mars 2004. « L'application de cette disposition par les deux agences centrales chargées en France de l'octroi des marchés publics, l'Union des groupements d'achat public et le service des achats de l'Etat , apparaît dans la pratique très faible voire inexistante » notent ainsi les auteurs du pré-rapport.