Le point noir des collectivités
La gestion prévisionnelle des ressources humaines est toujours l'une des grandes faiblesses des collectivités territoriales, estime la Cour des comptes dans son rapport annuel rendu public le 8 février. Les recrutements sont encore le plus souvent réalisés au fil de l'eau, les futurs départs massifs en retraite ne sont pas anticipés, des déficiences sont constatées au niveau de l'organisation du travail, les ressources humaines sont peu et tardivement prises en compte dans la définition des priorités et des objectifs comme dans l'évaluation des actions publiques.
C'est dans le chapitre III du tome I du rapport annuel 2012 de la Cour des Comptes qu'est évoquée la gestion prévisionnelle des ressources humaines des collectivités territoriales, point noir s'il en est dans les trois Fonctions publiques (et pas uniquement dans la Territoriale).
« Dans le secteur privé, il existe une obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dans les entreprises de plus de 300 salariés » note d'entrée de jeu la Cour des Comptes. Cette GPEC « porte au minimum sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de la société et ses effets prévisibles sur l'emploi et les salaires, sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences et les mesures d'accompagnement ( formation, bilan de compétences, mobilité, validation des acquis de l'expérience [VAE] ) et sur les conditions d'accès et de maintien dans l'emploi des salariés âgés ».
Or, note de façon laconique la Cour des Comptes, « au sein des collectivités territoriales, une telle obligation n'existe pas, non plus d'ailleurs que pour les fonctions publiques de l'État et de l'hospitalière ».
Suit alors le relevé d'une série de carences, que l'on retrouve bien sûr à la Mairie de Paris (même si celle-ci n'a pas l'objet d'une étude de la part de la Cour) :
> « Le recrutement doit être précédé d'une analyse des besoins pour garantir la meilleure adéquation entre le poste et l'agent. Souvent cependant, les recrutements se font au “fil de l'eau”, lors des mutations ou de départs à la retraite, sans réflexion préalable suffisante ».
> « La difficulté du recours à la mobilité interne tient au fait que de nombreuses collectivités ne recensent pas périodiquement et systématiquement les souhaits de mobilité. Elles n'effectuent des recherches de candidatures internes qu'au coup par coup, au moment de la vacance d'un poste ».
> Les futurs départs massifs à la retraite (à l'horizon 2016 - 2020) : « les difficultés de recrutement, d'organisation et de transmission des savoirs-faire liés à ces mouvements de grande ampleur appellent la mise en œuvre d'une anticipation aussi précise que possible des départs. Or nombre de collectivités effectuent un suivi statique des pyramides des âges sans aucune préoccupation prévisionnelle ».
> « La gestion des carrières devrait être davantage tournée vers les compétences, alors qu'elle reste aujourd'hui surtout individuelle et administrative ».
> « Il existe encore des réticences à l'élaboration de fiches de postes complètes, de la part d'agents inquiets d'une remise en cause même indirecte de leur niveau professionnel, mais aussi de cadres et d'élus entendant conserver une souplesse dans les tâches confiées. Ces attitudes sont regrettables ».
> « Il est rare de trouver un exposé détaillé de la gestion prévisionnelle dans les projets de direction [ des grandes collectivités ]. Les intitulés de gestion prévisionnelle des ressources humaines et de gestion prévisionnelle des effectifs, de l'emploi et des compétences, parfois présents dans les organigrammes, sont souvent artificiels ».
> « Les directions des ressources humaines [ des grandes collectivités ] comportent de plus en plus souvent des services regroupés autour d'un pôle de gestion des rémunérations et des carrières et d'un pôle de gestion des emplois et des compétences, davantage tourné vers la gestion prévisionnelle des effectifs, de l'emploi et des compétences. Au-delà de l'organigramme, elles ne disposent que trop rarement d'un projet de direction incluant, lorsqu'il existe, des objectifs de gestion prévisionnelle ».
> « La stratégie de la plupart des collectivités se nourrit peu de la dimension prévisionnelle et pluriannuelle de la gestion des ressources humaines. Elle l'intègre éventuellement, mais seulement comme une conséquence finale de choix déjà effectués ».
Comment ne pas remarquer que ces différentes observations extraites du dernier rapport de la Cour des Comptes recoupent souvent, et pratiquement mot pour mot, les critiques formulées depuis de longues années par notre organisation syndicale en ce qui concerne les graves carences de la Mairie de Paris dans la gestion des ressources humaines ?
Nous reviendrons dans un prochain article sur le rapport 2012 de la Cour, notamment en ce qu'il étudie les tentatives de progrès venant de certaines collectivités territoriales (département de la Moselle, Mairie de Lyon) en matière de gestion prévisionnelle des RH.
Photo : © Raumfahrer Rolf (sous licence Creative Commons)