Haut fonctionnaire de la Ville de Paris depuis 1981, Patrice Obert vient de publier chez L'Harmattan un livre à l'occasion des prochaines élections européennes. L'UE, rien ne va plus ? - comme on entend si souvent dire. Répondant avec force aux questions du Syndicat UNSA des attachés, Patrice Obert pense tout le contraire. Les Européens, avec leur longue histoire commune ayant débouché il y a 60 ans sur un modèle social spécifique, représentent, avec leurs valeurs et leurs contradictions, une chance pour le monde. À condition que l'Europe soit refondée. Et il y a urgence...
Vous publiez votre livre à l'occasion des élections européennes du printemps prochain. Pourquoi ? Précisément parce que ce sont les élections européennes !
Il y a eu d'autres scrutins avant... L'idée de mon livre m'est venue lors de l'élection présidentielle d'avril-mai 2012. Personne ne parlait alors de l'Europe, du moins jusqu'à ce que François Hollande annonce qu'il remettrait en cause le traité budgétaire s'il était élu. J'étais vraiment très en colère ! J'ai alors décidé de développer un projet que je portais depuis très longtemps.
Vous dites dès les premières pages que votre livre est un récit. Pourquoi ne pas dire un essai ? Lors d'une conférence sur les jeunes des banlieues à laquelle j'ai assisté, un intervenant a affirmé que l'on ne s'intégrait bien qu'à un récit. Cette formule m'a paru très exacte et m'a marqué.
Vous faites une très grande place à l'Histoire dans votre récit... Oui, car je crois qu'il y a une profonde cohérence entre notre histoire et le modèle social mis en place en Europe après 1945. Raconter l'histoire de l'Europe, c'est montrer toutes nos valeurs.
Vous croyez vraiment que les habitants de l'Union Européenne qui doivent faire face chaque jour à toutes les difficultés de la vie pensent à des valeurs ? Tout cela est très éloigné de leurs préoccupations... C'est vrai. On touche là un point essentiel : la faillite de nos élites. Raison de plus pour qu'un usager de l'Europe rappelle ces données et les articule avec le présent.
Il est peu probable qu'un jour les habitants de l'UE se sentent européens comme les habitants des États-Unis se sentent aujourd'hui américains... Mais parce qu'il manque actuellement une pédagogie européenne, si nécessaire pourtant ! Tout le mouvement historique de l'Europe montre que la personne est au cœur de notre cheminement. Il faut retrouver les valeurs des démocrates-chrétiens qui, avec les sociaux-démocrates, ont tout reconstruit après la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale et remettre la personne au centre de la politique européenne, comme on a remis l'usager au cœur du fonctionnement du service public.
Comment a-t-on perdu ces valeurs ? Avec la montée en puissance des anglo-saxons au début des années 1980 et le grand vent de libéralisme économique qui a alors soufflé sur l'Occident, via Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Grand vent qui s'est transformé en ouragan tout de suite après la disparition de l'URSS et qui est devenu ce que l'on appelle la mondialisation, c'est-à-dire la généralisation du capitalisme financier sur toute la planète, ou presque.
Vous écrivez dans votre livre des choses très sévères sur la mondialisation. Pourtant, elle est en train de permettre à des dizaines de millions d'êtres humains de ne plus connaître la faim et de sortir de la misère... La mondialisation est un fait et je ne suis pas contre. Je dis simplement qu'il faut lui donner du sens.
Vous croyez ? Mais c'est évident ! Quel est le but de la vie que nous impose le capitalisme financier international ? Consommer ! Rêver à des choses que l'on agite sans cesse sous notre nez en sachant parfaitement qu'elles sont inaccessibles pour la plupart des gens ! Et puis être toujours en compétition, sans cesse, travailler dans un univers rempli de tableaux de bord et autres outils soit-disant de gestion. La consommation, la rivalité incessante, l'exacerbation de l'individualisme : quel monde merveilleux ! Il faut remettre l'Europe sur ses rails et montrer qu'elle peut proposer à l'ensemble de la planète d'autres horizons.
Via la personne ? Oui, qui est à l'opposé de l'individu triomphant et consommateur qui se croit maître de son destin. Au cours de sa longue histoire, l'Europe a fait émerger des valeurs essentielles et qui lui sont propres : la science, la rationalité, la sécularisation que l'on appelle en France la laïcité, et l'État de droit. Sans parler de notre angoisse face au bonheur... Toutes ces valeurs sont définies par rapport à la personne, son intelligence, sa liberté, son empathie pour autrui. Et j'ajoute, ce qui est vulnérable en elle, par l'effet de la maladie, du handicap, de la pauvreté. Mettre la bienveillance au cœur des rapports humains, ça serait pas mal non ?
