Publié le 27 janvier 2014
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Demain, quelle Fonction publique ?

Alors que l'UMP veut limiter le statut de fonctionnaire aux seuls agents exerçant les fonctions régaliennes de l'État, le rapport Pêcheur commandé par le Gouvernement estime que les « valeurs d'intérêt général sont des valeurs d'avenir dans une économie de marché » et que « le service public n'est pas un monde voué à l'extinction ». Le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault déclare quant à lui que le statut des fonctionnaires est le « seul cadre juridique permettant de garantir l'adaptation permanente du service public aux besoins de la puissance publique ».

L'idée - qui n'est pas vraiment nouvelle - a été lancée par Jean-François Copé en octobre 2012 et reprise dernièrement par l'ancien ministre du Travail (UMP) Xavier Bertrand dans une interview accordée au mensuel Acteurs Publics et publiée dans le numéro de janvier de cette revue : le statut de fonctionnaire doit être réservé aux agents exerçant les missions régaliennes de l'État (police, justice, éducation) et les règles du droit privé en matière de travail s'appliquer aux autres personnes exerçant leurs missions dans les services publics situés en dehors de ce « cœur régalien ». Un point, formulé de façon plus ou moins explicite par celles et ceux qui émettent cette proposition, est au centre de ce projet : le statut de fonctionnaire garantit un emploi à vie et enlève la crainte d'être licencié, ce qui entraînerait inéluctablement un manque de dynamisme, voire de productivité, chez les personnes qui en bénéficient. La règle de la Fonction publique serait dès lors “travailler peu et gagner peu”  -  ce que Xavier Bertrand résume à sa manière en déclarant dans son interview : « Pour certains métiers, je propose non pas l'emploi à vie mais, pour ceux qui le souhaitent, un contrat de droit privé en échange d'un meilleur salaire ». Le plan Rabourdain, imaginé par Honoré de Balzac dans Les Employés (1838), préconisait déjà une refonte des personnels des ministères afin que ceux-ci soient moins nombreux et mieux payés...

C'est d'ailleurs au XIXe siècle, époque où le roman de Balzac a été publié, que les fondements de la Fonction publique ont été élaborés en France : recruté par un concours (qui concrétise le principe de l'égal accès de tous aux emplois publics énoncé par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789), le fonctionnaire est une personne qui se consacre uniquement à l'intérêt général (au contraire des salariés du secteur privé, embauchés pour défendre les intérêts de l'entreprise qui les emploie et enrichir ses propriétaires). Tout un dispositif est alors mis en place pour permettre au fonctionnaire de se consacrer à l'intérêt de la collectivité : - il est titulaire (c'est-à-dire propriétaire) d'un grade lui permettant d'assurer un certain type de fonctions ; - il ne peut être licencié, sauf faute extrêmement grave, ce qui le met à l'abri des aléas économiques ou des sautes d'humeur de ses chefs ; - il perçoit un traitement, et non un salaire ; ce traitement n'est pas la contrepartie d'une activité, mais doit lui permettre de bénéficier d'un certain statut social (et éviter ainsi la corruption ou le départ vers le secteur marchand).

Le statut de fonctionnaire est donc étroitement lié à ce qu'une société donnée considère comme relevant de l'intérêt général. Le périmètre attribué à ce dernier peut varier de façon très sensible (en augmentant ou en diminuant) selon les époques. Il n'est bien évidemment pas le même dans la France de 1875, de 1945 (période de reconstruction économique après la Seconde guerre mondiale) et en ce début du XXIe siècle. Le périmètre de ce qui est considéré comme l'intérêt général constitue ainsi l'un des thèmes majeurs du débat démocratique.

La conception française de la Fonction publique, qui est également celle de nombreux pays occidentaux, repose aussi sur le système de la carrière : les agents recrutés par concours sont susceptibles de changer d'affectation au sein de l'administration et évoluer dans la hiérarchie par le biais des promotions et des concours internes. Ils ont vocation à occuper non pas un emploi spécifique mais successivement des postes très divers, qui peuvent être de niveau et de rémunération de plus en plus en plus élevés. À l'inverse, le système de l'emploi (appliqué en Suisse et aux États-Unis pour une partie des États) est fondé sur des liens contractuels et réversibles entre l'employeur public et l'agent devenu salarié. Celui-ci est recruté pour un emploi précis, sans garantie de progression de carrière et sans que soit prise en compte la spécificité de son emploi qui relève malgré tout du service public et non d'une logique commerciale.

Le  rapport Pêcheur, que le Syndicat UNSA Attachés Paris a analysé précédemment, s'inscrit dans l'optique d'une Fonction publique statutaire et de carrière. Il préconise cependant de nombreuses et profondes modifications pour la Fonction publique, dont les plus marquantes seraient : - la suppression des catégories A, B et C et leur remplacement par cinq ou six niveaux de fonctions ; - la création de “cadres professionnels” communs à deux ou trois Fonctions publiques afin d'établir une similitude quant aux structures des carrières, des parcours professionnels facilités par des mutations directes et des formations communes ; - la primauté des fonctions exercées et de l'expérience professionnelle (y compris dans le secteur privé) sur les diplômes.

Les thèmes généraux du rapport Pêcheur sur les valeurs de la Fonction publique et sur les réformes à envisager pour le secteur public ont été très largement repris par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault lors de ses vœux aux fonctionnaires  ( vidéo de 31' et 27”  visible ici ).

Nature de la Fonction publique, adaptation des services publics aux réalités du monde actuel, place et rôle des fonctionnaires dans la société : les débats promettent d'être nombreux (et - on peut l'espérer - riches) au cours des mois et des années à venir.

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